Green Water Credits Report M3a: Aspects Institutionnels et financiers d'une mise en place du concept Green Water Credits dans le bassin du Sebou, Maroc (FR)

Year of publication
2011
Author(s)
Benabderrazik H
Excerpt
La réalisation des problèmes associés à l'érosion des sols au Maroc est ancienne. Depuis la fin des années
trente et la diffusion en Afrique du Nord des pratiques anti-érosives américaines initiées par la Tennessee
Valley Authority, les pédologues et les forestiers prônent une gestion conservatrice des sols sensibles. La
multiplication des projets de banquettes et des aménagements de défenses et restauration des sols dans la
plupart des massifs marocains en témoigne.
Cette prise de conscience ancienne, et les nombreux projets d'aménagement qui en résultaient, présentent
une caractéristique commune, celle de s'appuyer exclusivement sur des investissements publics, financés par
le budget général de l'Etat et parfois par des bailleurs de fonds, sur crédits, crédits concessionnels et dons. A
ce titre, au regard de l'ampleur des besoins d'aménagements, ils étaient très insuffisants.
Ce financement public exclusif s'expliquait par plusieurs jeux d'arguments.
– Le premier groupe tenait de la domanialité publique des cours d'eau et de leurs abords immédiats. Comme
le réseau hydrographique est le moteur de l'érosion hydrique, il est naturel que l'Etat, propriétaire éminent
de ce réseau, intervienne pour réduire ses impacts négatifs sur les tiers. Le même argument prévaut pour
les investissements visant à protéger les barrages et leurs réservoirs. Ceux-ci sont des biens publics, et la
prise en charge des dépenses de protection est justifiée par le caractère public des bénéfices selon le
vieux principe fiscal qui veut que le bénéficiaire d'une action publique doit la payer.
– Le second groupe d'arguments tient au nombre des acteurs du processus d'aménagement des bassins
versants et du nombre des bénéficiaires d'un tel processus. Il avance que ce nombre ne permet pas de
développer une solution conventionnelle où les bénéficiaires des aménagements rémunèrent les
prestataires amont. En conséquent, seul l'Etat est en mesure de faire cette coordination en faisant payer
par le biais des impôts les bénéficiaires pour financer les 'prestataires'. La capacité de coordination de
l'Etat intervient comme justification de son engagement.
– Le troisième groupe d'arguments tient à la difficulté de la mesure des bénéfices et des nuisances. Les
phénomènes d'érosion à l'amont des bassins versants sont diffus, difficilement quantifiable au lieu de leur
survenance. Les bénéfices de la réduction de l'érosion, à l'aval des bassins versants, sont également
difficiles à apprécier compte tenu de l'interférence des autres phénomènes climatiques. Comment peut-on
distinguer l'amélioration de la qualité de l'eau due à l'accroissement de la pluviométrie de celle provoquée
par les mesures anti- érosives conduites à l'amont des bassins versants ? Seul l'État est en mesure de
gérer cette incertitude locale en justifiant son intervention par les bénéfices mesurables globaux (à
l'embouchure des sous-bassins versants par exemple).
Bien entendu, cette dépendance exclusive des financements publics présentait les problèmes habituels
associés à l'insuffisance des ressources dédiées à la protection des ressources naturelles. Compte tenu du
profil des pertes, très long et progressif, les arbitrages budgétaires palliaient au plus pressant au détriment de
l'aménagement des bassins versants. Simplement parce qu’il est possible de remettre à l’année suivante ces
dépenses, sans impacts immédiats.
Le présent projet de ‘Crédits Eaux Vertes’ explore une solution alternative au financement public en
construisant une relation pécuniaire entre les bénéficiaires des mesures anti-érosives à l'amont et les
agriculteurs à l'amont des zones de montagne, qui conduisent des projets anti-érosifs sur leurs champs et
dont le bénéfice est à l'aval. Construire une telle relation permet en effet de s'abstraire partiellement de l'intervention publique et de conduire une politique plus durable d'aménagement des bassins versants, du
moins moins dépendante des contraintes budgétaires de l'État.
Cette nouvelle approche du paiement des services environnementaux, essaye de construire une relation
contractuelle directe entre les bénéficiaires des actions de protection et ceux qui les conduisent.
Historiquement, un des premiers exemples de cette nouvelle approche a été réalisé par la société exploitant la
source Perrier. Celle-ci avait réalisé que l'exploitation agricole des champs situés aux alentours de la source
réduisait la qualité de l'eau mise en bouteille. Elle a donc proposé aux agriculteurs de convertir leurs champs
en prairies dans une relation conventionnelle ou ils recevaient un paiement annuel en surcroît de la compagnie.
Cette approche des paiements pour les services environnementaux a été mise en oeuvre également pour la
protection de la biodiversité, lorsque des organisations comme WWF ont signé des contrats avec certains
états pour créer des parcs nationaux et protéger ainsi la vie sauvage.
Le succès de ces initiatives a entraîné une réflexion considérable en vue d'étendre un tel modèle de paiement
pour les services environnementaux. Le présent projet de ‘Crédit Eaux Vertes’ s'inscrit naturellement dans
cette démarche.
L'intérêt évident de cette approche, qui consiste à faire payer les bénéficiaires des projets pour les prestations
d'aménagement, ne doit pas faire oublier les nombreuses difficultés qu'une telle démarche doit surmonter
pour être opérationnelle.
La première difficulté consiste à organiser les liens entre une multitude d'acteurs, atomisés. Il est difficile
d'établir d'abord une relation contractuelle entre eux, il est encore plus difficile de la faire respecter.
La seconde difficulté tient à la mesure des bénéfices. Il est difficile de relier les actions aux bénéfices, compte
tenu de leur caractère microscopique et du rôle des variables aléatoires exogènes dans la détermination du
bénéfice. Spécifiquement en effet, comment s'assurer que la constitution d'un mètre linéaire de banquettes a
eu un rôle effectif sur la qualité de l'eau utilisée par un agriculteur dans le périmètre irrigué dominé par le
bassin versant.
La troisième difficulté tient au rôle de l'État, lorsque ce dernier bénéficie directement les services
environnementaux. En effet, l'État n'est pas un bénéficiaire comme les autres. À travers la loi et le règlement, il
dispose d'instruments de coordination de l'action collective particuliers, allant de l'imposition obligatoire à la
coercition par voie de justice. Il est difficile de le lier conventionnellement avec des individus sur un projet de
mesures anti-érosives. Or, comme dans le cas marocain, les barrages sont considérés comme des biens
publics, propriété éminente de l'État, et que le premier bénéfice de l'aménagement amont des bassins
versants sera l'allongement de la durée de vie des réservoirs, situés derrière les barrages.
Cette note s'attache à élaborer un cadre institutionnel permettant la mise en oeuvre du projet ‘Crédits Eaux
Vertes’, qui permette de surmonter les difficultés identifiées plus haut. Elle se compose de trois parties. La
première présente le projet. La seconde partie détaillée donne les choix institutionnels et organisationnels
proposés pour conduire ce projet. La dernière partie présente les arguments justifiant d'une intervention
publique pour la réalisation de ce projet.